Un modèle de conservation axé sur les valeurs des peuples autochtones en République démocratique du Congo – MONGABAY

    Le colonialisme et la création officielle du parc national de Kahuzi-Biega dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ont mené à l’expulsion du peuple autochtone batwa de ses terres ancestrales et à un certain nombre de violations des droits humains qui continuent à ce jour.

 

 

    Pour tenter de remédier à ces injustices passées et actuelles, la Société pour la conservation de la vie sauvage (the Wildlife Conservation Society en anglais, WCS) travaille à renforcer les valeurs des peuples autochtones et vient de conclure un partenariat avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) en vue de garantir le respect et la protection des droits du peuple batwa.

 

    Ce commentaire a été rédigé par le directeur général de Rights + Communities, un organe de la WCS, et par un avocat congolais et ancien président du Mécanisme d’experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

 

    Cet article est un commentaire. Les opinions exprimées sont celles des auteurs, et ne reflètent pas nécessairement celles de Mongabay.

 

Le peuple autochtone batwa a vécu au sein des forêts de Kahuzi-Biega de l’actuelle République démocratique du Congo pendant des siècles avant que le régime colonial belge n’impose des changements formels en 1937 lors de l’établissement de la réserve forestière et zoologique du mont Kahuzi. Les Batwa n’ont jamais été consultés ni compensés lors du changement de statut légal de leurs terres ancestrales. Les forces coloniales ont conclu des traités avec certains groupes ethniques, mais pas avec les Batwa, les Efe ni les Mbuti, qu’elles considéraient comme primitifs.

 

Pour les Belges, le mode de vie nomade des Batwa n’était pas viable et ne permettait pas de protéger la nature. Leurs terres ancestrales ont alors été considérées vacantes, donnant lieu à leur appropriation et au déplacement de la population en vue de la génération de profits en faveur d’une économie coloniale axée sur l’extraction des ressources, telles que l’hévéa (pour la production du caoutchouc) et d’autres produits forestiers.

 

Le conflit opposant l’État, les acteurs non-autochtones et d’autres parties prenantes aux peuples autochtones pour la reconnaissance de leurs droits de propriété et d’occupation des sols continue à ce jour. Le statut de basse caste attribué aux Batwa et à d’autres communautés de la forêt en raison de leurs origines et de leurs moyens de subsistance vient ironiquement se juxtaposer à la reconnaissance de leur statut de « premiers citoyens », ou premiers habitants, du Congo.

 

Certaines personnes estiment que les aires protégées vont à l’encontre du respect des droits humains et vice versa. Toutefois, nous pouvons et nous devons bâtir des modèles qui respectent les systèmes de gouvernance et de gestion autochtones. Une aire protégée ne peut pas exister sans la reconnaissance du lien profond entre la forêt et les identités culturelles des peuples autochtones.

 

C’est à partir de cette reconnaissance que nous pourrons bâtir des environnements solides, justes et équitables en plaçant les peuples autochtones et les communautés locales au cœur de non pas une mais de plusieurs approches de gouvernance et de gestion. Ils doivent bénéficier du respect de leurs droits fonciers, du droit à l’auto-détermination à travers leurs institutions et de l’accès à d’autres droits. Là où la gestion des parcs est placée sous la houlette du gouvernement, nous devons concevoir des systèmes nouveaux, équitables et adaptés, sur le plan culturel, à la gestion des ressources naturelles.

 

La dynamique en faveur du changement est forte, et aujourd’hui le temps est venu de reconnaitre et de corriger – à travers des actions concrètes – les erreurs passées et actuelles. Nous sommes convaincus que la reconnaissance des droits coutumiers, de l’expertise des peuples autochtones et du rôle clé joué par ces populations dans la prise de décisions doivent constituer les piliers de la construction d’un avenir qui intègre la vision des peuples batwa pour les générations actuelles et futures.

 

Des injustices profondes contre le peuple batwa

 

Le parc national de Kahuzi-Biega a été fondé en novembre 1970. Adrien Deschryver, photographe et spécialiste belge de la conservation, fut le premier gardien en chef du parc. Le classement en tant qu’aire protégée des 600 kilomètres carrés du parc a mené à l’expulsion du peuple autochtone batwa de ses terres ancestrales par le gouvernement et président de l’époque Mobutu Sese Seko.

 

En 1975, le gouvernement a augmenté la superficie de la réserve à 6 000 kilomètres carrés, entraînant encore une fois le déplacement d’un grand nombre de Batwa sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Au cours des 50 dernières années, les Batwa ont été expulsés à maintes reprises de leurs terres ancestrales et contraints à vivre comme des occupants illégaux, confrontés à une souffrance intense, victimes de la dépossession, de l’exclusion, de la marginalisation et de la discrimination.

 

Les difficultés du peuple batwa vivant en marge de la société se sont amplifiées lors de l’arrivée des milices armées, des braconniers et des exploitants miniers clandestins en 1996 à la suite de l’éclatement de guerres dans l’est de la RDC. À ce jour, les Batwa sans terres sont plus nombreux qu’avant la création du parc national. Après une assimilation forcée au mode de vie des occupants, ils sont aujourd’hui les derniers à avoir accès à la justice, aux soins sanitaires, à l’éducation, à divers services publics et à la représentation politique.

 

En outre, les Batwa sont brutalisés, torturés, et tués par différents groupes de la société. Cette déshumanisation des Batwa repose sur des préjugés profondément enracinés ; ils sont traités comme « des enfants », ou comme des êtres inférieurs. En effet, on observe ce genre d’attitudes dans les violations de droits humains ressenties bien au-delà des limites du parc, en particulier dans l’est de la RDC.

 

Le savoir autochtone qui a permis aux Batwa de vivre en symbiose avec la forêt pendant des centaines d’années n’a jamais été reconnu ni utilisé pour la protection des forêts de Kahuzi-Biega.

 

Les Batwa ont été stigmatisés, présentés comme une menace sociale, et aujourd’hui leurs revendications légitimes d’utiliser leurs terres au sein du parc sont fréquemment détournées par des acteurs locaux qui cherchent à exploiter les ressources en minerai et en bois, très abondantes au sein de la réserve.

 

Au milieu de l’apparition d’une multitude de groupes armés qui rivalisent pour l’exploitation des ressources naturelles mondialement reconnues, la superficie forestière ne cesse de s’amoindrir. Si un écosystème très important subsiste, il est toutefois limité et fragilisé – incapable de satisfaire les exigences de la population batwa actuelle, sans parler de celles de la génération future. Tout ceci a mené à l’accélération des conflits entre le peuple batwa revendiquant ses droits ancestraux et les autorités en charge de l’instauration des lois de conservation régissant les accès à l’intérieur du parc.

 

En 2019, un processus de dialogue formel mis en place pour résoudre le conflit a échoué. Les promesses aux Batwa émises par les gérants du parc et les autorités ont été rompues maintes fois, et les conflits ont continué de prendre des formes de plus en plus violentes.

Un nouveau cadre d’actions pour le parc national de Kahuzi-Biega

 

Aujourd’hui, nous travaillons à réparer les injustices passées et actuelles que les Batwa et les autres communautés locales ont subies et subissent dans l’est de la RDC. La solution à élaborer ne doit pas uniquement reposer ce qui se passe à l’intérieur du parc national de Kahuzi-Biega, mais elle doit être plus globale en vue d’envisager des processus de vérité et de réconciliation et une stabilisation de la situation. Elle doit également permettre de lutter contre les inégalités structurelles, la corruption et l’insécurité dans la région et d’élaborer des économies stables et équitables pour une grande variété de secteurs.

 

La dynamique en faveur du changement émane aussi du gouvernement en RDC. L’un de ses projets de loi protégeant spécifiquement les droits des peuples autochtones a été adopté par l’Assemblée nationale l’année dernière et est maintenant en attente d’examen au Sénat. La législation cherche à réparer les injustices passées, à protéger les valeurs culturelles et à veiller à ce que les peuples autochtones jouent un rôle clé dans la gestion durable des forêts et des autres ressources naturelles.

 

La Société pour la conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society en anglais, WCS) opère depuis plus de 20 ans dans le parc national de Kahuzi-Biega. WCS vient de conclure un accord de partenariat public privé avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), dirigé par le gouvernement de la RDC, pour la gestion du parc. Le partenariat permettra à WCS de prendre des actions immédiates et concrètes pour garantir le respect et la protection des droits du peuple batwa.

 

À travers ces actions, WCS cherche à élaborer une nouvelle stratégie pour le parc national de Kahuzi-Biega, telle une étape vers la mise en œuvre d’une conservation de la nature axée sur la collaboration entre l’homme et la nature, et non sur le conflit.

 

WCS va établir des processus transparents et des mécanismes de prise en charge des réclamations visant à approfondir le dialogue avec les communautés batwa à travers des actions collaboratives et la participation communautaire. L’organisation veillera à ce que les membres de la communauté autochtone batwa ainsi que les délégués des communautés locales et de la société civile soient représentés au niveau du Comité directeur et qu’ils participent à la prise de décisions.

 

Pour permettre aux Batwa de rétablir une connexion avec leurs forêts ancestrales, il faudra s’assurer de mettre en place un véritable dialogue et des approches innovantes pour la gestion des aires protégées au même moment où sera appliqué le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause en vue de l’élaboration de solutions communes.

 

Il s’agit d’un défi de taille, et loin d’être simple, dans une région assaillie depuis des décennies par la violence, les conflits armés et les intérêts divergents dans le secteur des ressources naturelles. Il implique la responsabilité collective de nombreux acteurs – le gouvernement de la RDC et ses donateurs de l’ICCN, l’ONU, les groupe d’activistes nationaux et internationaux, le secteur privé et bien d’autres encore.

 

Mais nous ne voyons aucune autre issue au vu des menaces existentielles auxquelles les communautés autochtones sont exposées à l’intérieur et à proximité du parc. Si nous ne redoublons pas d’efforts, la violence, les abus de droits humains, la déforestation et la destruction de la biodiversité continueront de s’aggraver dans ce contexte de lutte contre la crise climatique et l’extinction des espèces, auquel notre planète est confrontée.

 

Nous nous engageons à protéger la nature en incorporant le système de valeurs autochtones qui a été marginalisé et laissé de côté au sein du parc national de Kahuzi-Biega. Nous appelons les groupes de défense des droits humains, du développement et des actions humanitaires à nous rejoindre parce que nos activités de plaidoyer internationales ne suffisent pas. Nous avons besoin de solutions concrètes et créatives sur le terrain en RDC et partout où les peuples autochtones luttent pour être respectés et se battent pour l’exercice de leurs droits fonciers et le droit à l’autodétermination en vue de gérer leurs ressources naturelles de manière durable.

 

Sushil Raj est directeur général de Rights + Communities, un organe de la Société de conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society en anglais, WCS), membre du Groupe de travail des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine, et ancien coordinateur et spécialiste des droits humains auprès du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme – MONUSCO (mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo).

 

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