Le déploiement d’un réseau d’aires protégées reste aujourd’hui le principal outil à disposition des États pour développer des politiques visant à inverser la courbe du déclin de la biodiversité.
Identifier des territoires ayant de forts enjeux écologiques et leur donner un statut de protection plus ou moins contraignant n’est pas nouveau.
En 1960, on comptait environ 10 000 aires protégées qui s’étendaient sur environ 2 000 000 km2. En 2010, la base de données sur les aires protégées de l’IUCN (WDPA) recensait 177 547 zones ayant un statut de conservation sur 17 millions de km2 des terres émergées (12,7 % des continents et îles, hors antarctique) et 6 millions de km2 dans les océans et côtes (1,6 % de leur surface).
En 2021, 16,6 % des terres et des écosystèmes aquatiques intérieurs bénéficient d’un statut de conservation, contre 7,7 % pour les milieux maritimes et côtiers.
À chaque État de construire sa stratégie
Chaque pays adopte sa propre stratégie nationale pour la délimitation de ses aires protégées. Ce faisant, les dénominations et les niveaux de protection de la biodiversité peuvent fortement fluctuer d’un pays à l’autre.
Afin de pouvoir évaluer l’efficacité des aires protégées sur la conservation de la biodiversité, l’IUCN propose un classement en fonction du niveau de protection qu’elles assurent. Sur les 6 classes proposées, les 3 premières (réserve naturelle intégrale/zone de nature sauvage, parc national et monument naturel) impliquent que la législation nationale doit prévoir une exclusion de toute action humaine en dehors de certaines activités touristiques.
La première classe implique même une limitation très stricte des entrées dans la zone, souvent exclusivement pour des motifs d’études scientifiques. Les trois autres classes (aire de gestion des habitats/espèces, paysage terrestre/marin protégé et zone de gestion de ressources protégées), incluent des espaces où la conservation de la biodiversité est assurée par des pratiques d’utilisation des ressources naturelles réglementée afin d’en assurer la durabilité (agriculture, urbanisme, collectes, chasse).
Ainsi, chaque État peut construire sa propre stratégie en fonction de ses contraintes législatives, sociales, économiques et écologiques, tout en s’assurant qu’il respecte bien les orientations de la Convention sur la bioversité biologique (CDB), ratifiée par 196 pays.
La question centrale de la taille des aires protégées
Construire un réseau national d’aires protégées dépend de nombreux facteurs comme la représentativité de la diversité des écosystèmes, l’endémisme et/ou le statut de conservation des espèces, les interactions avec les autres modes d’utilisation des terres, la dimension symbolique et patrimoniale de certains espaces ou, parfois, espèces, les moyens institutionnels et financiers du pays…
Toutefois, un grand nombre d’aires protégées historiques a été délimité en se basant sur les paradigmes de l’écologie insulaire, théorisant la taille minimum d’une population et la diversité d’une communauté pour assurer le bon fonctionnement de l’écosystème.
Vu sous cet angle, la géométrie, notamment la taille et la forme des aires protégées ont souvent été des éléments de choix décisifs.
D’autant plus que les objectifs d’Aichi, issue de la Convention sur la diversité biologique, mettent l’accent sur la surface minimum en aires protégées que les pays signataires s’engagent à classer. Fixée à 17 % pour 2020, elle sera revue à 30 % à horizon 2030 lors de prochaines négociations (COP15), régulièrement reportées à cause de la pandémie.
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Même si la communauté internationale s’accorde à dire que la surface en aires protégées n’est pas le seul indicateur permettant de s’assurer de l’efficacité des politiques de conservation de la biodiversité, il est massivement utilisé et pilote l’évaluation des pays en matière de volonté à contribuer à la lutte globale contre l’érosion de la biodiversité.
Il paraît ainsi pertinent de se demander si cet indicateur n’a pas eu, dans certains cas, un effet négatif sur la capacité des États à mettre en place une politique cohérente et appropriée de conservation et gestion de leur patrimoine écologique.
Des initiatives à double tranchant dans les pays pauvres
Pourquoi cette question, apparemment irrévérencieuse ? Gérer une aire protégée coûte de plus en plus cher. Mettre en place des activités économiques qui permettraient à ce territoire de jouer son rôle dans l’économie nationale peut devenir un vrai fardeau, voire une tâche insurmontable pour certains pays ayant déjà du mal à organiser l’accès aux services essentiels pour sa population.
Bien que toutes les aires protégées n’impliquent pas une exclusion totale des activités humaines, notamment l’agriculture ou la collecte de ressources naturelles, elles restent un frein réel au développement de certaines activités considérées comme les plus destructrices (mine, infrastructures lourdes, villes, agriculture intensive…), mais qui sont aussi celles qui pourraient potentiellement être les plus intéressantes au développement des pays les plus pauvres.
Au-delà donc des coûts de gestion et de valorisation de ces espaces, les conflits d’usages issus d’arbitrages socio-économiques en faveur de la conservation de la biodiversité peuvent venir contredire les impératifs de développement local sur de larges espaces nationaux, voire nier la dimension culturelle et traditionnelle de ces écosystèmes.
Ces ambiguïtés sont particulièrement saillantes dans les pays les moins développés de la zone tropicale. La pression internationale pour qu’ils atteignent les objectifs de surface d’aires protégées est maximale, car ils abritent une grande partie des points chauds de biodiversité.
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