Carbone sur carbone : le pétrole et les tourbières du bassin du Congo- MONGABAY

D’après les résultats de l’exploration menée dans la zone, un gisement de pétrole se trouverait sous les tourbières du bassin du Congo. Sa taille exacte n’a toutefois pas encore été estimée.

Vue aérienne de la rivière Monboyo et de la forêt tourbeuse du Parc National de la Salonga, au sud-est de Mbandaka, en RDC. Photographie par © Daniel Beltrá / Greenpeace.

Les défenseurs de l'environnement et les chercheurs affirment que le CO2 piégé dans cette tourbière aussi grande que l'Angleterre, la plus grande des tropiques, rend sa conservation essentielle. En outre, elle abrite et fournit des ressources à la faune et à la flore de la région.

 

Les chercheurs estiment que la tourbière retient près de 30 milliards de tonnes de carbone, soit l’équivalent de trois ans d’émissions dues à l’activité Alors que les gouvernements de la République du Congo et de la République démocratique du Congo s'efforcent de développer leur économie respective, ils affirment, à l'instar de nombreux autres décideurs politiques dans le monde, que la communauté internationale a le devoir de contribuer au financement de la protection des tourbières afin d’assurer que le carbone, responsable du réchauffement climatique, y reste piégé.

 

L’annonce est tombée mi-2019 : un gisement de pétrole se trouve dans les profondeurs d’une section marécageuse du nord de la République du Congo (R. Congo) et pourrait presque quadrupler la production annuelle du pays. À croire qu’il attendait que le pays, déjà riche en pétrole, l’exploite. Cette augmentation de la production de près d’un million de barils par jour permettrait à l’un des plus grands producteurs d’Afrique de conforter sa position sur le marché, mais aussi d’injecter des fonds dans une économie en difficulté.

 

Des questions ont immédiatement été soulevées quant à la validité de ces affirmations. Particulièrement en ce qui concerne l’existence même d’une telle quantité de pétrole à cet endroit, mais aussi la façon dont les sociétés de forage pourraient accéder de manière rentable à une zone à ce point reculée. De fait, un rapport de 2015 met en doute la présence d’un « système pétrolier actif dans le bassin du Congo ». Les auteurs ont cependant pointé le manque de données géologiques sur la région à la date de publication.

 

La nouvelle a également fait des vagues parmi les défenseurs de l’environnement. Au-dessus du prétendu gisement se trouve un énorme dépôt de tourbe riche en CO2. La tourbe est un amas de matière organique qui ne se décompose que partiellement, car l’engorgement du sol étouffe le processus. Cette tourbière, révélée depuis peu par les chercheurs comme étant la plus grande des tropiques, s’étend sur une plaine inondable d’Afrique centrale, à cheval entre la République démocratique du Congo (RDC) et la R. Congo.

 

Auparavant, cette tourbière aussi grande que l’Angleterre appelée Cuvette centrale était largement inconnue de la science, ou de toute personne vivant bien au-delà de la région où elle se trouve. L’étendue et la quantité de carbone, estimée à plus de 30 milliards de tonnes métriques, ont obligé à recalculer l’importance de la tourbe tropicale. Reculée et largement intacte, cette forêt marécageuse abrite également des communautés humaines éparses, des espèces d’animaux sauvages menacées, ainsi que la plus grande réserve de CO2, un gaz qui participe au réchauffement climatique, des tourbières tropicales.

 

Depuis la « découverte » scientifique des tourbières de la Cuvette centrale en 2017, on a cherché à la fois à comprendre ce qui retient le carbone dans le sol et à défendre la région contre une série de menaces éventuelles. Selon les chercheurs, ces marais nous protègent de changements climatiques extrêmes en empêchant, du moins pour l’instant, le carbone de s’échapper dans l’atmosphère. Bouleverser l’écosystème pourrait également entraîner des conséquences désastreuses pour la faune et les communautés humaines de la région qui dépendent de la forêt.

 

En réponse, les deux Congo ont signé plusieurs accords qui protègent ostensiblement les tourbières d’un certain degré de développement potentiellement nuisible. C’est le cas notamment de la déclaration de Brazzaville, signée avec l’Indonésie en mars 2018.

 

« Nous pensons qu’il est important que les pays qui disposent de cet écosystème travaillent ensemble pour identifier les synergies positives » a déclaré Ève Bazaiba Masudi, ministre de l’Environnement et du Développement durable de RDC, dans un courriel à Mongabay.

 

En 2019, quelques semaines seulement après la nouvelle concernant les potentiels gisements de pétrole, le président de la R. Congo, Denis Sassou N’Guesso, s’est engagé à protéger les tourbières lors d’une cérémonie en compagnie de son homologue français, Emmanuel Macron. Pour ce faire, il compte mettre à profit un financement de 65 millions de dollars de l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale (CAFI), un partenariat international axé sur la conservation des forêts et le développement économique.

 

Mais dans le même temps, les gouvernements ont exprimé leur souhait d’exploiter les ressources de leur sol, notamment les combustibles fossiles qui, dans le cas de la R. Congo, constituent le moteur de l’économie. Deux volontés complètement opposées qui pourraient entrer en conflit si ce projet d’exploitation du pétrole venait à aboutir. En effet, ces activités mettraient en danger l’équilibre délicat qui a maintenu les tourbières relativement intactes jusqu’à présent.

 

La bonne nouvelle aux yeux des chercheurs et des défenseurs de l’environnement est que la menace du forage pétrolier et gazier ne semble pas immédiate : l’absence des infrastructures nécessaires à une exploitation à grande échelle limite grandement l’accessibilité à la zone. Les chercheurs soulignent néanmoins l’urgence grandissante d’étudier les tourbières et de comprendre les processus qui maintiennent leur équilibre. Lors d’entretiens menés par Mongabay, plusieurs des personnes interrogées ont exprimé la même crainte : voir une forme de développement nuisible aux tourbières s’y installer. En d’autres termes, il est possible que cette vaste ressource, si importante pour les populations et la faune d’Afrique centrale ainsi que pour le reste du monde, ne soit détruite dans la poursuite du développement économique.

 

« Nous ne détenons pour l’instant qu’une compréhension limitée de la véritable étendue des tourbières », a déclaré Lera Miles, experte technique principale du Centre mondial de surveillance de la gestion de la conservation de la nature du Programme des Nations Unies pour l’environnement, dans un courriel adressé à Mongabay. « Nous devons savoir où elles se trouvent si nous voulons les protéger ! »

 

Concessions et concessions

Depuis plusieurs années, la R. Congo délivre un certain nombre de concessions pétrolières et gazières sur le marché international, attirant l’attention de grands producteurs tels que le français Total et l’italien ENI. À tel point que l’une des concessions auparavant revendiquées par Total empiétait sur le parc national de Nouabalé-Ndoki, un sanctuaire riche en vie sauvage qui, depuis des décennies, accueille la recherche sur la faune unique d’Afrique centrale. Toutefois, la mise à jour de la carte des concessions pétrolières et gazières du pays de novembre 2019 semble avoir discrètement retiré le bloc pétrolier de Koli, autrefois lié à Total, de l’appel d’offres.

 

Malgré les critiques d’organisations de défense de l’environnement telles que Greenpeace, qui affirment que ces activités pourraient détruire les tourbières, la plupart des autres blocs figurent toujours sur les sites web du ministère des Hydrocarbures et de la Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC), la compagnie pétrolière du pays. D’autres signes montrent que le gouvernement semble avoir l’intention d’extraire le pétrole et le gaz qui se trouvent sous la Cuvette centrale.

 

En décembre 2020, CGG, une entreprise française spécialisée dans l’exploration du sous-sol qui a déjà collaboré avec Total auparavant, a annoncé qu’elle conduirait des relevés aériens afin d’estimer le potentiel des gisements de pétrole et de gaz identifiés précédemment dans le bassin de la Cuvette. Dans une publication, la CGG a souligné que les producteurs de pétrole et de gaz ont aidé au financement du projet en collaboration avec la SNPC. Cette dernière a également confirmé sur son site web que lesdits relevés étaient en cours.

 

« Le bassin de la Cuvette pourrait être considéré comme l’une des dernières provinces africaines à potentiellement détenir des gisements de gaz et de pétrole géants, voire supergéants », a expliqué Greg Paleolog, vice-président exécutif de la CGG. « C’est formidable de voir la SNPC et nos partenaires financiers reconnaître que l’acquisition à grande échelle de données de haute qualité peut apporter beaucoup à leurs programmes d’exploration. »

 

Néanmoins, la CGG s’est refusée à tout commentaire sur ses projets et les risques pour les tourbières si les relevés venaient à montrer la présence de quantités de pétrole et de gaz considérables.

 

De même, Total n’a pas répondu aux sollicitations de la part de Mongabay. Cependant, dans un article paru en 2019 dans l’hebdomadaire congolais Le Patriote, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, a reconnu qu’il existait des pressions quant à l’obtention de ces données sismiques.

 

« Bien sûr, il y a des enjeux écologiques importants. Il faudra en tenir compte », a-t-il admis. « Mais on est prêts notamment, à acquérir des données sismiques de façon à mieux comprendre ce qui se passe dans cette zone et à aider le Congo à valoriser ses ressources. »

 

La RDC a, elle aussi, listé plusieurs blocs qui empiètent sur les tourbières. L’un d’eux en particulier comprend une partie du parc national de la Salonga, un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO pour sa population particulièrement dynamique de bonobos (Pan paniscus). En juillet 2021, la RDC a retiré ces concessions de l’appel d’offres à la suite de pressions internationales. Mais les inquiétudes demeurent quant aux contrats lucratifs avec les sociétés d’extraction de ressources. Ils pourraient en effet suffire à convaincre les gouvernements d’autoriser l’exploration dans des aires protégées établies de longue date.

 

Un groupe d’officiels de la République du Congo, de la RDC, du Programme des Nations Unies pour l’environnement et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a mené un examen de la restauration des tourbières en 2018. Photographie par Ricky Martin/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

 

È. Bazaiba a rassuré quant à la stratégie de la RDC, centrée sur le souhait de « protéger les tourbières pour les peuples et la nature ».

 

Elle a toutefois ajouté dans un courriel adressé à Mongabay que « la RDC est un pays marqué par l’interconnexion des ressources naturelles. Il convient de bien examiner la valeur ajoutée de la conservation ainsi que celle de l’exploitation. »

 

Parallèlement aux efforts déployés par l’État pour inciter les entreprises internationales à monnayer ces ressources, la R. Congo a conclu des accords qui lui permettraient d’être payée pour protéger les tourbières et les autres zones forestières au sein de son territoire, en ce que leur capacité à séquestrer le carbone profite au reste du monde.

 

« Nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir les deux Congo dans la protection des tourbières car, mondialement, elles jouent un rôle capital », a déclaré Susan Page, professeure et écologiste à l’université de Leicester, au Royaume-Uni. Elle fait également partie des auteurs de l’article publié en 2017 dans la revue Nature qui a quantifié la taille et la teneur en carbone des tourbières de la Cuvette centrale pour la première fois.

 

Les accords internationaux, tels que la déclaration de Brazzaville, visent à tirer parti de l’expérience acquise auprès d’autres tourbières tropicales et à la mettre à profit pour protéger celles du bassin du Congo. L’accord CAFI, qui apporte un financement à hauteur de 65 millions de dollars fait partie des instruments découlant de cette démarche. Toutefois, ses détracteurs affirment que même si les mesures qu’il met en place sont supposées protéger les tourbières, elles n’empêchent pas l’extraction des ressources et n’offrent aucune garantie contre les actions de développement potentiellement nuisibles.

 

D’après une source chez CAFI, qui a souhaité garder son anonymat en raison du caractère sensible de l’accord, ce dernier a fait un grand nombre de concessions. Il était donc, au moins en partie, un compromis.

 

« On est dans le vrai monde », avait alors déclaré la source. Et il est clair que sans l’assurance que le gouvernement maintiendrait un certain contrôle sur ce qu’il fait de son propre territoire, annulation des contrats d’extraction de combustibles fossiles comprise, les dirigeants de la R. Congo n’auraient peut-être pas accepté une quelconque protection de la zone.

 

Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement, du Développement durable et du Bassin du Congo de la R. Congo, a déclaré auprès de Mongabay que, s’ils le souhaitaient, les dirigeants du pays seraient dans leur droit de développer les tourbières pour l’agriculture, le minage ou l’extraction.

 

« Ce n’est cependant pas la voie que le Président Denis Sassou N’Guesso, en tant que Président de la Commission climat du Bassin du Congo, a décidé de suivre », a-t-elle affirmé dans un courriel. La Commission climat du Bassin du Congo est un partenariat de plusieurs pays de la région. Notant que les émissions de CO2 de la R. Congo étaient bien en deçà de celles des « pays développés », elle a déclaré que son pays continuerait à respecter ses engagements envers la CAFI et d’autres accords.

 

En février 2020 cependant, un rapport conduit par l’ONG Global Witness a révélé des liens entre l’une des compagnies pétrolières autorisées à explorer un bloc empiétant sur les tourbières et la famille du président D. Sassou N’Guesso. Les auteurs se sont interrogés sur les impacts potentiels que l’exploration pétrolière et gazière, et par la suite l’exploitation, pourraient avoir sur une zone qui demeure largement non protégée.

 

En réponse au rapport de Global Witness, les responsables congolais ont réaffirmé le droit du pays au développement économique, notamment par l’utilisation des tourbières.

 

« [T]out en préservant les tourbières, patrimoine écologique mondial, le pays, soucieux de promouvoir son droit légitime au développement, s’est engagé à effectuer les recherches et explorations pétrolières en cours dans le total respect des règles environnementales les plus strictes », a déclaré Thierry Lézin Moungalla, ministre de la Communication de la R. Congo dans une publication sur Twitter.

 

Néanmoins, Colin Robertson, chargé de campagne forêts de Global Witness et co-auteur du rapport, a souligné l’urgence d’éviter les activités potentiellement destructrices dans la région.

 

« Si la Cuvette venait à être pleinement exploitée par les entreprises pétrolières, la majeure partie de la tourbière serait très probablement drainée afin de construire les infrastructures nécessaires, relâchant ainsi le carbone qui y est stocké », a-t-il expliqué dans un courriel adressé à Mongabay. « Il y aurait également un risque évident de pollution et de déversement de pétrole. »

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