Entre changement climatique et demande mondiale en bois toujours croissante, les forêts tropicales naturelles sont plus que jamais vulnérables. Il est urgent de trouver d’autres sources de bois d’œuvre, d’autant que les critères de durabilité échouent à garantir le renouvellement des peuplements. Le regard de Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et Sociétés du Cirad, sur les alternatives.
Vous appelez, de façon urgente, à un changement de paradigme en sylviculture tropicale. Pourquoi et quel nouveau modèle adopter ?
Plinio Sist est écologue forestier au Cirad et directeur de l’unité de recherche Forêts et Sociétés © Cirad
Les forêts naturelles de production de bois d’œuvre représentent plus de 400 millions d’hectares, soit la moitié des forêts tropicales humides qu’il nous reste. Face à une demande mondiale en bois croissante et aux conséquences exacerbées du changement climatique, ces forêts subissent trop de pressions. Surtout si l’on y ajoute les conversions en terres agricoles, les incendies, l’exploitation illégale… Il faut donc adopter un nouveau paradigme d’exploitation qui intègre aussi les plantations, les agroforêts, la gestion des forêts secondaires et la régénération naturelle.
Dans un tel scénario, les forêts naturelles serviraient seulement une niche de marché, pour une utilisation beaucoup plus noble qu’elle ne l’est aujourd’hui. Pour faire du contreplaqué, on peut très bien utiliser des arbres de plantation à croissance rapide ! Le bois de sciage issu des forêts naturelles devrait être plus cher, en raison de sa rareté et de ses qualités particulières.
Comment, dès lors, développer des plantations plurispécifiques, en choisissant les espèces les plus adaptées à la sécheresse ? Comment s’approvisionner en semences et plantules de qualité ? Comment valoriser économiquement l’exploitation des forêts secondaires ? Autant de nouveaux enjeux de recherche scientifique, qui permettront par ailleurs de créer des ponts entre les savoir-faire sur les milieux tempérés et tropicaux.
Comment le Cirad contribue-t-il à documenter l’impact de l’exploitation et du climat sur les dynamiques forestières ?
Au Cirad, nous suivons depuis plus de 30 ans la croissance et la mortalité des peuplements forestiers tropicaux en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique centrale, grâce à un réseau de dispositifs clés reconnus internationalement, comme Dynafac ou TmFO. Cet observatoire compte 650 parcelles expérimentales coordonnées avec nos partenaires. Notre particularité est d’analyser à la fois les dynamiques forestières, mais aussi l’impact combiné de l’exploitation du bois d’œuvre et du changement climatique sur ces dynamiques. C’est un travail plus complexe à mener que sur les forêts non perturbées. On croise différentes variables et leurs impacts respectifs, afin de modéliser des trajectoires. Ce front de science assez nouveau mérite toute notre attention et des financements pérennes, car les données, collectées année après année, ne produisent des résultats qu’à moyen et long terme.
Au-delà du besoin de connaissances, ce nouveau paradigme n’implique-t-il pas de revisiter les modes de consommation ?
Le nombre d’espèces exploitées n’est pas proportionnel à la biodiversité des forêts naturelles. En Amazonie par exemple, seule une petite quinzaine d’espèces sert à faire du bois d’œuvre, sur les 300 espèces par hectare que compte la forêt, à certains endroits. Le Cirad, à travers son unité BioWooEB notamment, étudie depuis longtemps les caractéristiques des bois tropicaux et leurs possibles utilisations. Les exploitants sont aussi prêts à se diversifier. Il faut maintenant que le marché évolue et que l’industrie s’adapte aux nouvelles utilisations des bois.
Et que les politiques légifèrent en ce sens et contrôlent efficacement le respect des critères de durabilité ?
Notre rôle, en tant que scientifiques, est d’émettre des recommandations. Leur intégration dans les politiques publiques nous échappe et tarde à se concrétiser, malgré les engagements. Les États doivent notamment mener une lutte déterminée contre les exploitations illégales. Celles-ci représentent encore la moitié des exploitations sélectives de bois en région tropicale et marginalisent les pratiques d’exploitation durables, car comparativement peu rentables. Il y a aussi beaucoup d’effets d’annonce autour des programmes de restauration, comme sur la quantité d’arbres à planter, sans suivi de leur devenir. Malheureusement, les pas de temps biologiques et électoraux sont bien différents : peu de politiques de restauration prennent en compte, sur le long terme, les besoins réels des territoires. Or, c’est aux populations qu’il revient de décider quoi planter, pourquoi et où. In fine, ce sont elles, leurs enfants et petits-enfants qui prendront soin des plantations.
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